Nouvelles des catacombes

 

- Coma idyllique

- Démence passagère

- Rêve glacé

- Ma Caren

- In tenebris

 

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- Coma idyllique -

Marchant sur les traverses en bois, l'esprit à la fois vide de conscience et plein d'absurdité, je me mis à siffler un air qui m'était inconnu. Le vent s'engouffra soudainement dans la tranché dans laquelle cette voie ferrée été enclavée. Les feuilles jaunies de saison se mirent à pleuvoir uniformément dans le sens du courant invisible. Ce que je vis, je ne sais plus si je l'imaginais ou le subit, mais une impression surréaliste persiste encore jusque dans mon squelette.

L'automne, le froid, l'humidité et les feuilles collées. Mais la bourrasque s'éternisa, les feuilles ne s'épuisèrent pas, le sol n'en accumulaient pas non plus.

Le temps c'était immobilisé, le jour n'avait pas finis de tomber.

Une corneille passa dans le ciel mais son vol saccadé était inversé, la tête en dernier. Quel étrange ciel, gris mais appelant la contemplation, avec un mouvement perpétuel et envoutant des branches.

Est-ce que j'avançais ou je reculais ? Etais-je en train de rentrer dans le tunnel ou d'en sortir ?

D'un coup, plus une feuille ne tourbillonnaient, je n'en voyais même plus une seule, les ombres avaient disparues, j'apercevais toujours les traverses pâles détachées des ténèbres du tunnel. Plus un seul tourment dans l'atmosphère, une immobilité parfaite. Seulement le son résonnant de mes pas régulier au contact du bois polis. Une obscurité grandissante, pas une seule seconde je pensais à prendre soin d'apporter de la lumière. Une impression de s'enfoncer dans une matière plus épaisse que la nuit, et l'âme s'agrandit comme une ombre à la fin du jour. Mais petit à petit je ne me sens plus seule, quelque chose se tapis entre ici et les murs. L'espace est trop grand pour être sondé, trop profond pour être rassuré, trop abstrait pour fuir. Des yeux jaunes intenses me fixent dans ces arcanes. Le regard se déplace de ma direction vers le fond du tunnel pour revenir à moi et mon sang se glace. Quel est ce maléfice ? Je ralentis mais ils se rapprochent encore, plus vite. Une rumeur grandit, un crissement. Des rats ? D'un seul coup, d'un seul, de vent emporte la rumeur et hurle en passant entre mes vêtements, je me mets à courir. Mais pourquoi n'ai-je pas pensé à allumer cette lampe ? Je suis tombée, je me suis relevée, les mains pleines de boue, le visage en sueur. Puis je me suis calfeutrée dans une anfractuosité aveugle que la roche offrait. Elle m'a accueillie. Je m'y suis endormie un moment, combien de temps ? Ici en me réveillant j'ai eu l'impression d'avoir reçu quelque chose, une rencontre, une sagesse, une connaissance inconsciente ? Mais le sommeil qui m'avait envahi n'était pas celui de toute les nuits, quelque chose de fantastique m'avait enrobé.

En me réveillant je n'aurais su dire combien de temps s'était écoulé, en sortant du tunnel je vis le jour, le soleil tranquillisant, le paisible d'un jour de week-end de printemps avancé. J'avais faim.

Une feuille jaune au milieu subsistait. Elle tenait comme figée en apesanteur au milieu de l'allée. Jaune, comme celles de la nuit précédente, mais unique au milieu des arbres verdoyants, mouvant à travers une brise caressante. La feuille jaune, seule vestige de la nuit démente que j'avais passée était suspendue à un fils d'araignée qui ne semblait être attachée à rien. Mais immobile comme insensible à cette brise. Je l'attrapais et la mis dans ma poche en espérant trouver une explication.

La journée termina avec une impression de déjà vécu quand la rumeur du vent se réveilla.

 

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- Démence passagère -

Je sens l'intégrité de mon esprit s'effriter de manière irréversible. Quelle démence m'attend demain ? Serais-je capable de me rendre compte quand elle m'emportera ? Comment faire pour lutter ? Arrêter le processus ? Je n'ai pas envie, je me sens attiré par ce fond, obsédé par lui. Je finirais peut être par ne plus comprendre pourquoi les jours s'écoulent, s'écouleront t-ils ? Le fantôme d'un souvenir continuera peut être à me hanter.

Un souvenir, une angoisse sans substance, et une évolution vers la lumière. Comme un de ces jours qui n'arrive qu'une fois dans la vie de chaque individu. Des êtres vivants, ne pourrait-on pas les appeler des êtres mourants ? Chacun fait preuve d'imagination pour meubler et fleurir cette angoisse qui nous suit comme ombre. Mais celle-ci est à peine ignorée qu'elle revient, redoublant d'intensité. Elle rôde, elle attire dans ses filets les survivants parmi les morts. Une rêverie, elle est tapie dans l'ombre, un cauchemar, et elle surgit au-dessus du reste. Cette angoisse est universelle, et c'est pourquoi, ce soir j'ai décidé de ne plus lui tourner le dos, elle est mienne mais elle est votre, elle me lie au autres, elle est partagée, même si vécu dans la solitude. Je vivrais avec, elle marchera à mes côtés et de temps à autres je lui demanderais, quoi de neuf en bas ?

Le jour où elle me quittera complétement, je sais que je n'aurais plus peur, parce que ce sera la fin, rien n'y pourra rien et j'aurais compris, après un bref moment de nostalgie violente, je me sentirais vide, et libérées, la lumière m'attirera comme au premier instant mais elle sera douce et sereine. Tandis que la naissance est vécue comme une mort traumatisante avant de se rendre compte que les poumons respirent, la mort sera vaincue comme une naissance apaisante en se rendant compte que l'âme est légère comparée au poids d'une vie sur Terre.

 

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- Rêve glacé -

En me réveillant, je me suis trouvé dans un noir sans contour. Le froid m'avait saisie par l'immobilité de mon corps. J'ai sentis la panique me gagner comme des vagues ondulantes d'intensité grandissante. J'ai cherchais frénétiquement en palpant les ténèbres autour de moi. Mes phalanges ratissant les alentours de mon cul posé me remirent les idées en face des trous. J'étais le cul sur une surface terreuse, dans le noir et imbibé d'humidité jusqu'aux os. A croire qu'elle avait diluée tout l'alcool de la veille.

Je me rappelle avoir passé une soirée insensée, d'excès et d'incompréhension. Une nuit inédite m'avait t'on promis. Dans les catacombes de Paris. Alcool à volonté, et cachetons avant de descendre, voila l'idée. La foule, les fumigènes, le noir, la transe, et le bad trip.

J'ai cru mourir. J'étais persuadé que j'allais mourir à la fin du jour, que je ne passerais pas à la journée suivante. J'ai voulu fuir, qu'on ne me voit pas dans cet état, pour ne pas inquiéter, pour ne pas les voir s'inquiéter, pour ne pas paniquer plus. J'ai cherché un coin plus tranquille où consumer ma crise d'angoisse. J'ai cherché, j'ai tourné volontairement en rond pour essayer d'oublier que l'heure de ma mort approchait. Je regardais ma montre en marchant, je voyais défiler les secondes, minuit s'approchait. Je ne me rappelais plus ce qu'il se passerait à minuit. Je me suis cogné en regardant ailleurs.

Je me suis ensuite allongé par terre. Je me rappelle avoir essayé de dormir mais je me suis retourné dans ma tombe, violement et impulsivement d'un coté à l'autre comme un malade qu'on s'imaginerait attaché et cherchant à se défaire de ses liens fixés à un lit d'hôpital psychiatrique. Les murs dansent avec la lumière qui passe d'un coté à l'autre, et je croyais qu'ils se rapprochaient pour m'écraser. Et deux phrases se faisaient la course dans ma tête, « je vais mourir » et « plus jamais ça ».

Voila maintenant je suis là, tout est redevenu calme, l'esprit clair mais dans le noir. Je finis par trouver une bougie chauffe plat et sur la paroi et un briquet mouillé dans ma poche. Après plusieurs frictions enragées de la pierre sur la roulette je finis par avoir une flamme. Une petite flamme vacillante et fragile, mais une lumière rassurante malgré tout. Je commence à marcher et à ramasser tout les restes de bougies que je peux trouver. Je ne sais pas par où aller pour sortir. Je me dis que je finirais par croiser quelqu'un qui serait resté la nuit, comme moi, incapable de remonter le puits dans son état. Sera-t-il sortir, ce quelqu'un ? Ne pas penser trop. Après une heure peut-être de marche je crois reconnaître un lieu où je suis passé plus tôt. Je prends au hasard les galeries, en changeant droite, gauche… J'essaye de penser à ce que je ferais en rentrant chez moi, pour éviter que la panique revienne. Les ténèbres sont tellement envahissante que je ne sais pas si je dois plus craindre celles qui s'étendent devant, ou celles qui collent à mon dos. Je m'interdis de me retourner, je fais semblant de ne rien craindre. Mes propres bruits me font sursauter, un frottement de pantalons, une pierre qui roule sous mon pied. Dès que mon esprit n'arrive pas à interpréter un son dans un quart de seconde, il croit qu'il y a quelque chose d'autre. La lumière aussi se reflète parfois dans les flaques puis sur un mur opposé, comme si quelqu'un arrivait, et mon cœur fait des bonds, de peur et d'espoir.

Tiens, ici il y a des mouchoirs dans cette flaque, c'est dégueulasse. Un peu plus loin le dégout me monte à la gorge, un mouchoir intégralement imbibé de rouge, du sang ? un autre mouchoir plus loin à moitié imprégné avec des tâches caractéristiques de l'éclaboussure. Cette fois plus un doute c'est du sang. Je peux même suivre les gouttes tombées du malchanceux sur le sol de la galerie. Des petits cercles crénelés, spécifiques de la viscosité du sang accueillie par le sol après son accélération. Je suis ce chemin glauque tel un petit poucet avec les morceaux de pains dans la forêt. La vue du sang me donne envie de vomir, j'ai les oreilles qui bourdonnent. Il ne faut pas penser, je vais perdre connaissance. La vue du sang ne m'a jamais spécialement réjouie, mais dans ses circonstances, la panique a vite fait de refaire son apparition, le type a bien dut s'exploser pour répandre tout ce sang. Ca aurait pu être moi.

Voila le problème. Je continue, j'ai la tête qui tourne, combien de temps cela va-t-il durer ? Soudain j'aperçois une forme au sol, terrifiante forme, elle parait humaine, et si immobile. Je reconnais peu à peu les lieux, j'étais là ! Je me suis réveillé ici, et oh ! Cauchemars, au sol c'est moi, le visage recouvert de sang encrouté avec juste une crevasse étoilée profonde et encore humide. Ah ! Comment cela peut t il être possible ?

J'essaye de porter la main à mon visage mais je ne sens rien, je me vois juste en face de moi, le visage blême, malade, froid, cireux. Les paupières pales, presque translucides. J'ai l'air de dormir, et je suis comme une matérialisation de mon propre cauchemar. Mais une certitude m'envahis, je ne me réveillerais pas !

 

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- Ma Caren -

23 février

Encore un superbe après midi passé à éviter le froid et la grisaille parisienne de la surface. Petite descente de huit heures passées en compagnie de deux fidèles compères. C'était la première pour Piero, il flippait un peu quand on est passé devant un couple de pervenches à la tache le long de la rue des Plantes. Mais il s'est vite détendu une fois entré dans les entrailles douces et feutrées de la ville. Les galeries basses, puis le dos droit, nous avons fait une bonne balade dans le dédale des carrières souterraines de Paris. Le ventre de Paris, on connaît cette appellation des Halles, mais ce lieu devrait porter ce nom, d'où la matière brute des bâtiments anciens a été puisée pour alimenter la ville de ses structures. Ces souterrains, les plus profondément enfouis de Paris, sont à la fois le support viscéral de la ville, sa chambre gestative d'où elle naquit, mais aussi telle des couches de sédiments profondément enfouis, ils conservent des vestiges presque intactes de son passé. Autant de parisiens vivent et grouillent sur la croûte du présent, que d'ancêtres parisiens gisent écartelés dans les nimbes souterraines.

Les ossuaires ont bien plus à Piero. Il n'avait même jamais visité l'ossuaire officiel de Denfer-Rocherauld. C'était donc sa première rencontre physique avec des morts.

24 février

L'hiver est froid cette année. Je suis donc retourné faire visiter à des amis les Catacombes et carrières de Paris. J'étais ravi le pic-nic qu'ils avaient amené été délicieux.

12 mars

Après avoir exploré quelques heures des galeries inconnues, je me suis séparé de mes deux acolytes, une dizaine de minutes m'a-t-il semblé. Il m'est arrivé une chose peu banale. Je leur avais dit de m'attendre ici le temps d'aller jeter un œil au-delà de la chatière adjacente pour voir, aller plus loin. J'ai tourné à gauche deux fois. Je me suis retrouvé dans un petit renfoncement étroit, où néanmoins je pouvais me tenir accroupi dans une flaque boueuse. Le ciel de la carrière était magnifique, bien que bas. De très longues fistuleuses translucides s'extirpaient hors de la masse au fond du cul de sac. Je promenais mon regard le long de ces formations exceptionnelles avec la lenteur de l'émerveillé. Le cou tournée au quart, je sursaute et mon cœur me monte aux lèvres. Je sens la violente injection d'adrénaline se dissiper le long de mes muscles alertes. Quelqu'un, à cinquante centimètres de mon visage me fixait de ses yeux  vides et sombres. Les orbites creuses, un crane parfaitement intacte était posé sur le remblai calcifié où j'avais la main. Il semblait être posé là comme une fleur, loin des ossuaires, comme s'il s'était déplacé récemment. Mais un goutte à goutte lui perlait sur le crâne depuis suffisamment longtemps pour que le calcaire ai précipité en trainées blanches transparentes, contrastant avec l'orangé de son teint. Il semblait me sourire. Petit, solitaire, je reviendrais te voir. Je retourne à mes esprits, je me rappelle avoir abandonné mes amis, et je retourne en hâte les rejoindre. « Rien à signaler de ce côté-là » je leur ai dis. Comme s'il y avait un secret à protéger. Ils se sont plaint que je les avais laissés plus de trois quart d'heure seuls, sans explications. Je crois qu'ils m'ont fait marcher.

17 mars

Semaine éprouvante. Je n'ai cessé de penser à ce crâne. Il faut que je retourne le voir, je ne l'ai pas bien vu. Il était si parfait dans mon souvenir.

18 mars

Je suis retourné voir mon ami, le crâne. Il n'avait pas bougé. Je reconnus mes traces de pas dans la boue de la dernière fois. Je l'ai observé un certain temps. Il est si petit. On dirait un enfant. Si quelqu'un venait à passer là et le prendre, je serais bien triste de ne plus le revoir.

23 mars

Je suis retourné voir mon petit crâne, je devais le prendre en photo pour avoir une trace au cas où il disparaisse.

28 mars

J'ai fait développer les photos, elles sont toutes floues avec un halot blanc en travers. Il faut vraiment que je change d'appareil photo.

30 mars

Mon esprit ne se calme plus le soir. Je n'arrive plus à dormir depuis une semaine. Je dois arrêter le café, ce n'est pas bon pour moi. Le soir arrive et une grande agitation m'attise. Je n'arrive pas à m'endormir avant le lever du jour. Je regarde mes photos ratées du crâne et écrit des notes pour penser à autre chose. Je suis obsédé à l'idée de retourner dans le dédale.

31 mars

J'ai invoqué l'excuse de la souffrance pour ne pas aller bosser aujourd'hui. Mais je n'ai pas pu tenir dans mon lit ce matin. 1h après avoir prévenu mes collègues que je ne viendrais pas aujourd'hui et peut être les jours à venir, je me suis précipité dans l'épicerie du coin de la rue pour faire le plein. Du saucisson, du fromage, des raviolis, des bougies, plein de piles, de l'eau et mon journal. Chargé comme une mule, je me suis précipité dans les souterrains en espérant ne pas être vu d'une connaissance. Je suis maintenant là devant lui. En m'approchant j'ai voulu le toucher. Son contact est froid mais doux. Mes doigts se sont arrêtés le long de l'articulation fibreuse immobile. La suture sagittale est impressionnante, un emboitement complexe parfait des deux os latéraux finement découpés. Mon doigt passe sur une aspérité, je ressens comme une décharge légère d'électricité statique ou de stress. Je repose la tête en me disant « c'était quelqu'un », je vais trop loin. Touches avec les yeux ». Je me suis calé contre la paroi opposée. C'est un endroit parfait pour bivouaquer, je sens le sommeil tant attendu monter en moi comme une bouteille que l'on remplit d'eau chaude.

1 avril

Ce matin en me réveillant j'ai cru rêver, le crâne était légèrement de profil. Après je me suis dis que j'avais tellement vu le crâne dans une position sur les photos et les fois précédente que le fait de l'avoir pris en main et reposer légèrement différemment avait dû  me toucher. Sacré toi, j'ai cru un poisson d'avril.

J'ai fait un petit tour dans le réseau mais suis vite revenu à mes affaires, et je l'ai regardé longtemps, comme si j'attendais qu'il me parle.

3 avril

Je n'ai plus aucun mal à dormir et je sens avoir complètement récupéré. Il faut dire que les carrières sont silencieuses et le noir de la nuit et du jour y est total.

Je n'ai plus de provisions et il faudrait penser à retourner travailler avant que les autres ne s'inquiètent.

6 avril

Dur reprise du boulot, je m'étais trompé, je suis resté cinq jours dans les souterrain, on perd vite la notion du temps là-dessous.

9 avril

Je suis retourné voir Caren. C'est le nom que j'ai donné au petit crâne. Elle est là. Mais j'ai failli la trahir, un groupe de gens me suivait de loin, j'ai du faire un détour de plusieurs kilomètres pour qu'ils ne puissent pas comprendre où j'allais.

10 avril

Cette fois j'ai dépassé les bornes, j'angoissais tellement de perdre Caren une fois pour toute que je l'ai ramené à l'extérieur, puis chez moi. Je sens que c'est une bêtise, mais il est là sur mon bureau à coté de la géode d'améthyste trouvé il y a quelques années au Brésil. Il trône tel un trophée. Et je commence déjà à regretter. Mérite t elle ça ? La culpabilité me dévore.

14 avril

Je n'ai rien dit à personne au sujet de Caren, et je refuse systématiquement toute visite. Je suis bien content qu'elle soit près de moi. Je dors maintenant d'un sommeil lourd et profond et me réveille le matin frais comme un gardon comme si la nuit était passée en une seule minute. Je suis de bonne humeur au bureau, mais je rentre le plus tôt possible pour retrouver mon chez moi. Dans le salon, il n'y a plus qu'elle, mon regard ne se pose sur rien d'autre, la pièce est devenue vide. Je pense au philosophe des siècles lumières qui mettait un crâne sur leur bureau pour trouver l'inspiration. La mort matérialisée par l'ossement lisse a quelque chose de rassurant, il n'y a plus aucune violence dans cet état. La transition est faite, les stigmates de la souffrance disparus. La mort a quelque chose de fascinant, aucun vivant ne la connaît, mais elle nous attend tous. Ca parait complètement irréel, moi aussi, quand est ce que j'ai rendez vous avec elle ? Un jour je rejoindrais Caren et tout redeviendra calme. Cette transition a quelque chose de surnaturel, on ne peut pas y croire tant on l'attend. Et quand elle arrive on n'y croit qu'à la dernière seconde, le plus tard possible, pourquoi l'ignorer tout ce temps ?

15 avril

Je me suis réveillé en sueur, avant le lever du jour, j'avais un mal de crâne transperçant. Je me suis rendormi, j'ai dormi d'un trait jusqu'à midi. Je ne suis pas allé travailler, encore. En me douchant j'ai remarqué de la terre sous mes ongles et je me suis rappelé avoir rêvé que c'était du sang.

Je reste toute la journée terré à l'intérieur, vidé de toute énergie. J'ai fait une petite sieste sans conviction. A la fin de la journée j'ai réalisé être assoiffé et n'avoir pas but une goutte depuis le matin.

16 avril

Je n'ai toujours pas bien dormi et j'ai encore de la terre sous les ongles pourtant cette fois je suis sur de ne pas être sorti hors de l'appart depuis ma dernière douche. Je n'ai plus aucune énergie, mon corps est lourd et je me traine. Est-ce que je ne serais pas malade ?

Je n'ai même pas trouvé l'énergie de sortir voir un médecin.

19 avril

J'ai rêvé que je descendais dans les carrières, je ne me rappelle plus bien. Je suis frustré de ne plus y descendre en ce moment, je suis trop crevé. Le

boulot m'exténue et je suis inefficace. Le soir j'ai à peine le courage d'absorber un bol de ramen ‘instant noddle'.

20 avril

Cette fois j'ai des images claires de mon rêve. Je rampais dans une chatière sur les ossements mais je n'étais pas complètement moi-même, comme drogué ou à moitié endormi. D'abord j'ai fais le tour du carrefour des morts plusieurs fois sans me rappeler par quel escalier je devais descendre au niveau inférieur. Puis je me suis assis dans un angle et j'ai gratté le sol de part et d'autre de mes cuisses pour réfléchir. L'instant d'après je me suis retrouvé endormi dans cette chatière sans savoir par quel coté je devais partir.

21 avril

Encore le même rêve, je suis cette fois coincé dans la chatière en ayant avancé trop loin sur les ossements se rapprochant du ciel du boyau. En essayant de ramper à reculons, les ossements hétéroclites roulent sous mon corps et se dressent à mon encontre. Plus je me précipite et moins j'ai de place. Je me rappelle avant m'être réveillé avoir répéter « c'est comme les couches de sédiments, la plus jeune est dessus. »

23 avril

Le patron me demande de rattraper les heures perdues je n'ai plus un instant à moi. En rentrant, j'ai commandé une pizza. J'ai posé le carton sur le bureau. J'ai fait un bond en sortant de ma douche. Un cafard parcourrait la tranche de la boîte. J'ai balancé ma serviette par-dessus et en courant du regard après le fugitif, je tombe sur Caren, qui devient sa protectrice. Je trouve son sourire exagérée et sarcastique.

25 avril

Cette nuit dans mon rêve j'ai transféré des ossements d'un étage à un autre. Puis j'ai entendu un groupe arriver au loin. Je me suis caché et plus ils s'approchaient plus ma respiration devenait bruyante sans que je ne puisse cacher le son.

4 mai

Les beaux jours reviennent  doucement, je réalise que cela fait un mois que je ne suis pas descendu dans les souterrains de Paris. Je n'aime pas l'idée de partir longtemps de l'appart. Mais aujourd'hui je suis allé y faire un saut. Je ne suis pas resté longtemps je ne pensais qu'à rentrer chez moi. J'ai des courbatures ce soir pourtant.

5 mai

De nouveau de la terre sous les ongles, et des courbatures, je crois que j'ai de la fièvre. Caren parait desséchée sur mon bureau, la concrétion sur son crâne lui donne un teint albâtre. Je ne me suis pas levé de la journée.

6 mai

Décidément je ne suis pas bien, il fait beau dehors et moi je suis au lit. J'appelle un médecin de garde qui m'a prescrit quelques médicaments sans incidence. Etat grippal. Tu parles, j'avais deviné.

Pas de force de se lever.

7 mai

J'ai mangé mais cela ne va pas mieux. La nuit je me réveille en sueur ou glacé, je ne supporte plus la lumière.

8 mai

Toujours au lit, je n'ai pas plus de force, aller au toilettes me demande un effort considérable, j'ai l'impression de chercher l'air comme si j'étais à 3000mètres d'altitude, ou au fond d'un gouffre chargé en CO2.

9 mai

Je ne me sens toujours pas mieux mais je me suis levé en pleine nuit conscient cette fois. Mon corps été lourd et douloureux et refuser d'y aller mais il était comme forcé par une énergie que je ne connais pas. Je suis descendu dans la cour, et là, j'ai réalisé. Je suis peut être somnambule. C'est terrible ce qui m'arrive.

10 mai

Je me suis réveillé dans la rue. Je ne contrôle plus mes crises. Mon corps refuse tout effort mais les mouvements artificiels l'animent contre son grès. Je ne peux voir personne dans cet état là. On me jugerait fous, et qui sais ce que je serais capable d'accomplir.

12 mai

J'ai l'impression que Caren a blanchie. Pourquoi ne m'en suis-je pas aperçu plus tôt ? En me levant ce matin un bourdonnement sourd vibrait dans ma tête, je n'entends plus l'extérieur, je me sens loin, comme prisonnier tout au fond de mon corps. Parfois mon cerveau est comme privé d'oxygène, pendant un instant j'ai l'impression qu'il est déconnecté, puis un vertige et d'un coup je respire de nouveau. Si je raconte ca, on me prendra pour un dément. Suis-je devenu fou ? Je ne dois plus sortir de chez moi. Si on me voit fou de l'extérieur, mon dernier rempart sera engloutit, je ne pourrais plus lutter.

J'ai passé Caren sous l'eau pour lui redonner sa teinte orangée.

Les drogues chimiques me font retrouver un sommeil artificiel et sans rêve.

13 mai

Je me suis réveillé, il y avait du sang sur le coussin. J'ai une bosse sur le crâne et de la terre sous les ongles. Je ne sais plus quoi penser. J'ai passé la journée au lit. Caren me regardes toujours de son sourire moqueur. Est-ce que je devrais la ramener. Hors de question !

Si on me voit avec, on m'accusera de profanation de sépulture.

14 mai

J'ai essayé de ramener Caren. Il y avait un foutoir pas possible là où je l'avais trouvé, un tas d'ossement hétéroclites amassés, et les stalactites aux sols. Maintenant, quelqu'un d'autre est passé ici. Je n'ai pas pu laisser Caren, je l'ai ramenée avec moi.

15 mai

Un os ! Il y a maintenant un fémur à côté de Caren ! Quelqu'un c'est foutu de moi ! Quelqu'un sait… je suis très inquiet. Je vais tout ramener là où j'ai été la première fois, tanpis !

20mai

Il y a quatre jours je me suis réveillé, debout au milieu de l'ossuaire du niveau inférieur de Montparnasse, après avoir heurté le ciel de plein fouet, j'avais des ossements pleins les bras, ils se sont étalés autour de moi dans ma chute. Et j'étais incapable de me relever, pendant un moment j'étais paralysé, plaqué au sol. Je me suis d'un seul coup relevé sans en avoir eu l'intention, j'ai ramassé ceux qui été dans mes bras un instant avant, mon corps ne me répondait plus, et j'étais à deux doigts de défaillir. Mon pouls lent, ma vue brouillée, comme si je voyais la scène du fond d'un long tunnel noir à l'intérieur de mon crâne. Je n'entendais rien qu'un bourdonnement continu. Même mes pas dans les flaques raisonnés comme un écho, avec retard, et comme si le son se diluait dans le temps. Je suis rentré, comme un zombie, presque les yeux fermés, tellement la lumière m'éblouissait. Mes pas m'ont portés jusqu'à mon lit après avoir délicatement posé tout les ossements un à un à coté de Caren.

Elle est complète maintenant. Presque. J'ai du sang qui coule le long de mon arcade et suit l'arrête de mon nez aujourd'hui, sûrement quand je me suis assommé cette nuit encore. Je ne sens pas la douleur, est ce que je suis mort ? Elle a gagné, m'a complètement envahi. Elle est chez moi, et moi je ne contrôle plus rien. Mon corps m'a quitté, ou bien est ce moi qui l'ai fuit ? Je me vois de l'extérieur me remonter le drap sous le menton. Que vais-je devenir ?

 

 

 

- In Tenebris -

- Salut, ça va ?
Pensez seulement un instant que je vous réponde avec honnêteté à cette question ? Et si pour une fois j’ouvrais une fenêtre surplombant cette réponse. Un air glaçant vous traverserait. Vous vous précipiteriez pour la refermer, bien évidemment. Hé bien, vous l’aurez voulu. Je vais parler. Est-il besoin de vous rappeler que j’arpente le plus souvent possible les milieux souterrains ? Gouffres, catacombes, carrières, bunkers, caves, cryptes... Ces endroits remplis de ténèbres qui font fantasmer certains et frissonner d’autres. Peut-être croyez-vous que ces lieux sont à craindre plus que la surface, la lumière du jour et le bruit de la ville ? Ce remplissage visuel et sonore vous empêche de voir la vérité. J’ai suivi un fil invisible, seule, dans l’errance. Dans le vide de l’obscurité la plus profonde. L’esprit vidé de tous ces parasitages permanents. Me saoulant dans cette intime solitude, il m’arrivait de rester seule, des heures, à même le sol, sans lumière. A apprécier seulement le noir. Dans un état proche de la dérive qui survient lorsque l’on est sur le point de s’endormir, mais tout en restant éveillée. Et à insister, j'ai fini par les voir. Sans lumière. J’ai vu des formes, s’approchant. J’imagine que mon œil c’est accoutumé, ou est-ce mon esprit ? Vous me croirez folle, mais je ne vous épargnerais pas, je vais vous livrer cette histoire jusqu’au bout. Peut-être me laisserez-vous tranquille. J’ai d’abord entendu comme un frôlement, le long de la pierre de la galerie. Sans pouvoir identifier son origine. Je me suis figée. Crispée, le regard dans cette direction. A l’affut. Fronçant les sourcils comme si j’allais pouvoir percer l’obscurité. Je n’osais pas rallumer ma lampe de peur de découvrir ce qui arrivait près de moi et de le surprendre. Je n’ai pas bougé, comme s’il ne me verrait pas. Il s’est écoulé plusieurs minutes, peut être une 10ène ou plus. Puis j’ai de nouveau entendu un bruit. Un grognement discret ressemblant vaguement au feulement d’un chat. Je n’ai pas identifié de quel animal cela aurait pu provenir mais ce n’était pas humain. Ni un rat. Ni rien d’autres de connu. L’adrénaline me transperça, mon sang se glaça. Mon cœur battait à tout rompre mais je n’osais toujours pas bouger. Puis j’ai vu. Une lumière se refléter contre le mur opposé de l’intersection de la galerie se trouvant à une 20ène de mètres. Ce n’était pas une lumière électrique, ni une flamme. C’était une lumière indistincte. A force de la scruter j’ai constaté qu’elle n’était pas reflétée sur le mur, mais qu’elle était le contour d’une masse se déplaçant dans le noir. Avec de vagues limites, flottantes, comme l’illusion que provoque le réchauffement de l’air au dessus d’une flamme. Quand j’ai compris que cette forme était ce qui avait émis le grognement et qu’elle s’avançait vers moi, je me suis levée brusquement pour courir le plus vite possible dans la direction opposée. Dans le noir. Une main en contact avec le mur, une avec le ciel pour ne pas m’assommer. Je n’avais jamais vu ca, mais j’ai été traversée par une émotion que j’avais déjà vécue. Celle que l’on a quand on réalise qu’on est passé à deux doigts de mourir. Sans attendre de vérifier ce qu’était cette chose, je savais. Je ne voulais pas attendre. Cette chose, était celle qui venait chercher les vivants. Pour les amener de l’autre coté du miroir. Depuis cette expérience c’est reproduite, plusieurs fois, dans le noir toujours. Et ils sont plusieurs. Je les vois de plus en plus distinctement. Je ne vous décrirais pas plus à quoi ils ressemblent. Vous les verrez au moment voulu. Je sens leur présence arriver de plus en plus loin. Et ils sont aussi à la surface. Sauf que la lumière du jour m’empêche de les voir. Je sais qu’ils ont compris que je les avais repérés, et ils me suivent. Alors de quoi me parlez-vous ? Être heureux ? Malheureux ? Vous croyez que j'ai le choix ? Mais je n’ai pas le luxe de me poser ces questions. Je dois fuir. Jamais je ne serais plus tranquille maintenant que je sais. Et sous terre je peux les voir. Comment fuir quelques choses qu’on ne voit pas ? Alors je m’active dans tout les sens. Survivre. Ne jamais rester immobile. Et dès que je peux quitter la surface, je retourne sous terre pour mieux voir ceux qui me pourchassent. Mais vous croyez que vous êtes à l’abri ? Non, chaque jour ils viennent en chercher plusieurs d’entre nous. Vous étiez d’heureux ignorants. Ils sont peut-être tapis dans votre dos, à attendre le bon moment pour vous chopper à la gorge.
Alors, vous me demandiez si ca va ? Absolument, et vous ça va ?

 

 

 

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