Vandalisme et Patrimoine, Deux concepts intimement liés. 

Dans les carrières de Paris et proche banlieue.

Partie 1 : les graffitis modernes

 

1. L'origine du vandalisme

Naissance du concept de du patrimoine

 

1.1. Chronologie non exhaustive de l’emploi du terme vandalisme

Le terme vandalisme actuel est issu du mot Vandales dérivés du mot Wandeles (1280), emprunté au latin Vandali, -orum, est le nom d’un peuple germanique destructeur au début du 5ème siècle qui envahit et pilla violemment la Gaule, l’Espagne du sud, l’Afrique du nord, et l’empire romain. Ils ont marqué les esprits sur plusieurs génération en personnifiant la barbarie et la destruction opposé aux peuples civilisés.

Le terme vandale est utilisé comme adjectif signifiant «barbare» pour la première fois de manière péjorative par Voltaire en 1732-1733 (Correspondances, I, 14 avril et 20 juin dans Œuvres complètes, t. 33, 1880, p. 253 et p.354). Le concept d'iconoclaste était déjà utilisé par les Byzantins pour dénoncer les briseurs d'images et de statues sacrées (an 726 à 843).

Le terme vandalisme fut employé pendant la Révolution française. Le 11 janvier 1794, Henri Grégoire, dit l'Abbé Grégoire, évêque constitutionnel de Blois, juriste et homme politique révolutionnaire, s'adresse à la Convention pour dénoncer les destructions commises sur le patrimoine artistique de l'Ancien Régime. Les "objets nationaux, qui, n'étant à personne, sont la propriété de tous" et "Les barbares et les esclaves détestent les sciences et détruisent les monuments des arts, les hommes libres les aiment et les conservent". Il "créé[a] le mot pour tuer la chose ": le vandalisme. C'est à cette époque que naît la notion de patrimoine et de monument historique à protéger.

En 1825 sous la restauration, Victor Hugo dénonce la « Guerre aux démolisseurs ! ». De nombreux monuments médiévaux sont détruits par les épisodes révolutionnaires, ou le nouvel élan urbaniste. Sous la monarchie de juillet, en 1830, Guizot créé l’Inspection générale des monuments historiques et en 1837 la commission nationale des monuments historiques. Prosper de Mérimée inspecteur depuis 1834 écrit à Thiers (ministre de l'Intérieur et des Travaux Publics) pour constater que les restaurations des monuments sont parfois si maladroites, qu’elles sont pires que les destructions de ceux-ci.

L’historien et urbaniste Pierre Lavedan écrit en 1952 que « du moment où l'on admet que la beauté du vide est supérieure à tout, on est bien près du vandalisme » et l’urbanisme devient au XIXème siècle « la plus grande machine à détruire qu'on ait jamais vue ». En effet ce siècle est marqué par une alternance de république, empire, monarchie, république, empire et république, de quoi varier les plaisirs en termes d’art, et d’urbanisme si chaque un veut marquer son passage au sommet.
Au début de la 5ème république, dans son ouvrage Histoire du vandalisme (1960), Louis Réau redéfinit le vandalisme comme « la destruction de monuments ayant un caractère artistique ou auxquels s’attachent des souvenirs historiques qui les ennoblissent », et aussi « l'altération de leur ambiance, leur déplacement, leur restauration excessive ».

Comme disait le compte Léon de Laborde : « Chaque époque ayant des méfaits de vandalisme à reprocher à sa devancière, et ne se sentant pas elle-même la conscience bien nette, on est tombé d'accord qu'on rejetterait le tout sur les Vandales, qui ne réclameront pas », Émaux, p. 533, dans VANDALISME

Comme cette petite chronologie nous le montre, le vandalisme dénoncé, n’émane pas forcément que de brigands et malandrins, mais peut être caché derrière une volonté politique voulant marquer son histoire en modifiant le paysage, ou masquer des gloires passées. La notion de vandalisme peut être subjective, suivant si l’on se place du point de vue des nostalgiques, des protecteurs, ou des innovateurs, des ambitieux.

« Si le Ciel m'avait donné seulement vingt ans, on aurait vainement cherché l'ancien Paris. »
NAPOLÉON.

 

1.2. Définir le patrimoine des carrières souterraines franciliennes

 

L’âge patrimonial prend de l’ampleur à partir du milieu du XIXème siècle, avec l’avènement de législations protectrices du patrimoine, et la création d’instituts chargés de sa sauvegarde.Le patrimoine au sens large est l’ensemble des biens hérités et conservés pour être transmis aux générations futures. En France une législation (en 2004) et une réglementation (en 2011) ont été compilé dans le code du Patrimoine, dans le but de définir et protéger les différents bien qu’il englobe. Les types de biens patrimoines que l’on rencontre concernant les carrières souterraines de Paris sont :

Les musées : Les musées sont définis dans le code du patrimoine comme : toute collection permanente composée de biens dont la conservation et la présentation revêtent un intérêt public et organisée en vue de la connaissance, de l'éducation et du plaisir du public. (Exemple : Catacombes de Paris, ossuaire municipal, La carrière des Capucins …) 

Le patrimoine archéologique : Il est défini par « tous les vestiges, biens et autres traces de l'existence de l'humanité, y compris le contexte dans lequel ils s'inscrivent, dont la sauvegarde et l'étude, notamment par des fouilles ou des découvertes, permettent de retracer le développement de l'histoire de l'humanité et de sa relation avec l'environnement naturel ». (Exemple : Graffiti, objets d’ancienne utilisation/fréquentation des carrières)

Les monuments historiques, sites patrimoniaux remarquables et qualité architecturale. (Exemple : Edifices liés à la consolidation, fontaine d’étiage, mobiliers funéraires, cabinets de curiosité).

Les archives : tous les documents et données concernant les carrières de Paris, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, produits ou reçus par toute personne physique ou morale et par tout service ou organisme public ou privé dans l'exercice de leur activité. (Exemple : Atlas de Paris souterrain, planches IGC, documents relatif au travaux souterrains, ou à l’utilisation des souterrains).

A cela on peut ajouter un aspect qui se trouve définit dans le code de l’environnement.

Le patrimoine naturel :
L’inventaire du patrimoine naturel est l'inventaire des richesses écologiques, faunistiques, floristiques, géologiques, minéralogiques et paléontologiques.

Biologique :
Exemple : La présence d’espèces spécialisées du souterrain, inscrites sur la liste de protection.
Trois espèces de niphargus présentent dans les eaux souterraines des carrières de Paris sont sur des listes rouges de protection. Les espèces de chauve-souris présentent dans les carrières de banlieue ont également un statut d’espèces protégées et pour certaines en danger (Barbastella barbastellus, Myotis bechsteinii, Myotis daubentonii, Myotis emarginatus, Myotis myotis, Myotis mystacinus, Myotis nattereri, Plecotus austriacus, Rhinolophus ferrumequinum, Rhinolophus hipposideros)

Géologique : Exemple : La carrière Arnaudet de Meudon comprenant un miroir de faille unique en région Île-de-France, le contact Campanien/Danien, étage contemporain de la diversification des peuplements marins après la crise Crétacé-Tertiaire, et un karst dont le remplissage a livré une faune de mammifères du début du Tertiaire (Yprésien), jalon de valeur internationale pour la compréhension de l’évolution des mammifères.

Sites classés, inscrits, inventoriés, musées… toutes ces catégories de patrimoine ont un contour bien déterminé, légiféré et protégé (ce qui ne fait pas d’eux les sites les moins vulnérable). Mais reste une autre catégorie de patrimoine plus immatériel, qui ne se saisit pas facilement dans des institutions. La culture populaire. Pour Marcel Mauss, pionnier de l’anthropologie, est populaire tout ce qui n’est pas officiel. Les voies de valorisation ou reconnaissance de patrimoine populaire passe forcément par des privés ou clandestine dans un premier lieu.

 

1.3. Le tout premier acte de vandalisme des catacombes

Le premier acte de vandalisme fort survenu dans les catacombes de Paris est la création des catacombes elle mêmes puisqu’elles sont issues d’une profanation monumentale, de cimetières parisiens contenant plus de 10 siècles de défunts, intégralement vidés pour des raisons sanitaires à partir de 1786, jetés par des puits quelques 20m plus bas dans les anciennes carrières souterraines de Paris.
Cette décision, malgré la ritualisation du transfert et la consécration religieuse qui l’a accompagné ne fit pas une unanimité sereine dans sa perception.

Le compte Léon de Laborde écrivait : « A toutes les époques, c’est sans le moindre scrupule, sans regret même, qu’on remplaçait d’anciens édifices, par de nouvelles constructions […] Il y a vingt carrières autour de Paris, on en invente une nouvelle, c'est le cimetière des Innocents ; le repos des morts ne sera pas respecté, et leurs tombes serviront à faire les marches de l'escalier. Dans une autre circonstance, à un siècle de distance, on a besoin d'une pierre pour faire un autel, on déterre un mort, on lui prend sa bierre, et tout est dit. Là, du moins, l'intention et la destination excusent peut-être la profanation ! »

 

2. Les graffiti de l’Age moderne (XVI-XIXème siècle)
Patrimoine archéologique de Paris

Alors que pendant les épisodes révolutionnaires, la politique est de faire table rase du passé, lors des périodes plus installées, les urbanistes veulent marquer le paysage de leur passage et les historiens cherchent à conserver et étudier ces traces du passé, notamment les graffiti sur les vieilles pierres. La difficulté est de savoir à quel moment réinterprète-t-on un graffiti vandale d’hier comme un vestige historique, patrimoine archéologique ?

 

2.1. Qu’est-ce qu’un graffito

Les graffiti anciens font partie intégrante des monuments historiques, et éveille la curiosité et l’intérêt patrimonial. Il n’est pas rare d’en entendre parler lors des journées du patrimoine au cours des visites. Témoignages, messages politiques, pulsions, dérisions, créations, ils peuvent prendre de multiples formes.

Graffiti est le pluriel de graffito, emprunté de l’italien graffiare évoquant la lacération, le sillon, dérivé de grafio du latin graphium (éraflure ou stylet) et du grec graphein (toute forme d’écrit, de dessin). Les graffiti se caractérisent par son statut illégal ou en tout cas clandestin et spontané. Ils sont des dessins ou gravures apposés sur un support non prévu à cet effet. Ainsi les inscriptions professionnelles, marques de tacherons, rose des vents, repères topographiques, épures ne sont pas considérés comme des graffiti. Les graffiti existent probablement depuis avant l’invention de l’écriture, même s’il commence à être difficile de savoir si la démarche est clandestine et spontanée ou officielle. Les civilisations égyptiennes comptent de très nombreux graffiti antiques.
En archéologie ils sont des témoignages sociaux important d’une expression populaire. L’étude des graffiti n’est pas une discipline récente, on peut notamment évoquer l’étude pionnière du père jésuite Raffael Garrucci qui étudia les graffiti de Pompéi (parue en 1856).  La graffitologie, la dicipline scientifique qui consiste à analyser les graffiti dans un contexte historique est aujourd’hui en plein essor.

Les graffiti sont à la fois des actes de vandalisme et des traces historiques de la mémoire collective. Ils sont à leur création, un patrimoine populaire, et entrent également dans la catégorie de patrimoine archéologique (moderne = fin du Moyen Âge à 1789, contemporaine = 1789 à nos jours).

Dans les carrières souterraines, deux types de support peuvent avoir été graffités, la pierre brute de la carrière (le ciel, les fronts de taille) et les ouvrages de consolidation. Les consolidations sont identifiées par une nomenclature gravée avec une année, tout graffiti apposés sur ces murs datés seront donc plus moderne.
Les inscriptions sur la pierre brute sont plus difficiles à dater, excepté si la date est inscrite, mais ces supports sont potentiellement plus anciens. Il faut se méfier des inscriptions facétieuses antidatées, le style de l’écriture (la forme typique de certaines lettres/chiffre change le long des siècles) peut aider en comparant à d’autres inscriptions présentes sur le même mur.

Dans les carrières de Paris, le plus ancien très connu est celui de 1671 de Noé Camar au noir de fumée, sous l'observatoire de Paris. On n’est bien entendu pas à l'abri d'en trouver de plus anciens dans un recoin de carrière.

 

Un autre beaucoup moins connu et visible avec la date 1645, découverte et photo de Gaspard Duval.

              

2.2. Qui sont les personnes qui graffitaient ?

Voici quelques exemples :
- Les ouvriers venant faire des consolidations et inscrivants des messages sans rapport avec leur travail.
- Les opprimés. D’après Brassai, « [la] détresse attire au mur les « demeurés », les « simples », les inadaptés, les déshérités, frustrés, et révoltés […] tous ceux qui ont quelque chose à reprocher à la société ou à l’existence. Car le mur exorcise. » 1958
- Les insurgés des périodes politiques troublées, cachés dans les carrières, ont laissé des traces de leurs passages sur les murs. Gravés à la pointe du couteau, écrits au crayon, à la sanguine, au noir de fumée ou à la peinture. « Toute révolution sont nées sur le mur » Brassai. 1958
- Les touristes visitant les catacombes (dont le parcours ancien était plus vaste et non cloisonné comme actuellement). Les visites sortaient alors du parcours officiel actuel, suivant la trace noire au ciel, le long de la rue Dareau, par exemple.
- Les agents de surveillance de la barrière de l'octroi qui surveillaient l’activité de contrebande jusqu’à sous terre, ont aussi laissé leurs signatures dans plusieurs culs-de-sac de galerie.
- Les étudiants de différentes écoles pratiquant des travaux pratiques de topographie, des baptêmes de promo, ou des fêtes clandestines (écoles des mines, ENS, X...).
- Les promeneurs clandestins en tout genre.

Les graffiti contiennent le discours de la clandestinité, une iconographie contestataire. Brassai disait dans les années 1960 que le graffiti est le thermomètre de la vie sociale.

 

"Arrière Satan" écrits à la sanguine à plusieurs reprises par Émile Gérard, ouvrier à l’IGC


Caron Trouve 1837 26 février

 


« Les gonzes de la turne 26, ... 1921 » (École Centrale Paris)

 

2.3. Quelques périodes illustrées sous Paris

2.3.1. La révolution française (1789-1799)

Lors de la Révolution française, le fanatisme idéologique amène à gommer au maximum les traces de l'Ancien Régime royal et de la religion chrétienne. Dans ce mouvement, beaucoup d'églises, abbayes, statues, châteaux, sont pillés, mis en vente ou réutilisés à des fins militaires ou sociales, et les objets artistiques de l'Ancien Régime sont souvent détruits.
Par exemple, le 14 juillet 1790 lors de la fête de la Fédération, des délégués de province (17 d'Alsace et de Bresse) sont "invités" chez les pères Chartreux de la rue Denfert et c'est un vrai carnage. Les soldats déchirent tout, nappes, tableaux, la vaisselle vole en éclats, les serrures sont forcées, des feux de joie sont allumés.

Le 14 août 1792 (an 1), l'Assemblée nationale décide que l'on ne doit plus faire mention des signes évoquant l'Ancien Régime dans l'espace public. Les 'saints' sur les plaques de nom de rues et les fleurs de lys en font partie. Le 4 juillet 1793 (an 2) : tout signe de royauté doit être banni, les fleurs de lys sont supprimées.
Dans les carrières souterraines de Paris depuis 1777, l’Inspection générale des carrières travaille à la consolidation et cartographie du sous-sol, et des plaques étaient gravées aux intersections nommant les rues en surplomb pour faciliter la navigation des ouvriers, lorsque des établissements remarquables sont présents en surface, il n’est pas rare qu’ils rajoutent une plaque y faisant référence, avec des fleurs de lys si l’édifice est religieux.
Les signes de sainteté ou de royauté déjà mentionnés sont supprimés, même sur les plaques des carrières souterraines de Paris. Les plaques sont burinées, recouvertes de boue, ou les pierres gravées réutilisées à l'envers, face gravée non lisible. Sur les futures plaques gravées, ces signes sont omis.

Rue (St) Jacques sous la fontaine des Carmélites : le "Saint" est omis.

 


Fleur de lys burinée dans une galerie souterraine du 5ème.

Ces actes sont du vandalisme partisan, officialisé par l’administration. D’un autre côté on a des graffitis partisans de la révolution qui sont dessiné sur les murs de manière spontané.

 

Gravé à la pointe d’un couteau, Rue du Cherche-Midi :
" Fin de la République .. 29 septembre 1799 par Jean- Baptiste Coupé"

 

2.3.2. La guillotine revient à Paris sous la monarchie de juillet

Après presque deux ans d'abolition de guillotine en matière politique, en 1832 sous la monarchie de juillet, la guillotine fut déplacée et repris fonction place St-Jacques et resta sous la deuxième république jusqu'en 1851. Elle était rangée après chaque exécution dans une remise rue du faubourg St Jacques.  La première exécution à la barrière Saint-Jacques 3 février 1832, à 8h30 Victor Hugo en parle dans la préface de son livre le dernier jour d'un condamné.
« À Paris, nous revenons au temps des exécutions secrètes. Comme on n'ose plus décapiter en Grève depuis juillet, comme on a peur, comme on est lâche, voici ce qu'on fait. On a pris dernièrement à Bicêtre un homme, un condamné à mort, un nommé Désandrieux, je crois ; on l'a mis dans une espèce de panier traîné sur deux roues, clos de toutes parts, cadenassé et verrouillé ; puis, un gendarme en tête, un gendarme en queue, à petit bruit et sans foule, on a été déposer le paquet à la barrière déserte de Saint-Jacques. Arrivés là, il était huit heures du matin, à peine jour, il y avait une guillotine toute fraîche dressée et pour public quelque douzaine de petits garçons groupés sur les tas de pierres voisins autour de la machine inattendue ; vite, on a tiré l'homme du panier, et, sans lui donner le temps de respirer, furtivement, sournoisement, honteusement, on lui a escamoté sa tête. Cela s'appelle un acte public et solennel de haute justice. Infâme dérision ! »

De l’autre côté du jardin du Luxembourg, un escalier permettait de rejoindre les galeries souterraines des carrières de Paris, et sur ces murs on y trouvait une représentation de la guillotine qui sévissait à quelques kilomètres de là.

 

Croquis à la sanguine de la guillotine et l'échafaud dans les carrières de Paris

Volontairement, le croquis de la guillotine au nord du réseau a disparu en 2019, frotté par un chiffon.

L’acte de graffiter spontanément une guillotine sur le mur de consolidation propre est vandale au moment où cela est fait, mais témoin de la mémoire collective. L’effacer est-il un acte de vandalisme ?
Bien entendu sans classement officiel, un vandalisme de vandalisme n’a pas de sens et l’évaluation d’intérêt culturelle est subjective chez les clandestins. Dans ces circonstances il est très difficile de protéger de tels vestiges. Tandis que certains prônent le secret, d’autres rendre hommage à ces vestiges dans des publications afin de transmettre cette connaissance au plus grand nombre et de leur donner une valeur à protéger. Cette position permet aussi de prévenir les vandalisassions par ignorance, qui frotterait sans s’en rendre compte un témoignage ancien en passant, ou le recouvrerait de peinture, ou en s’appuyant sur un des murs dans une galerie exiguë.

 

2.3.3. Les révolutions de 1848

Suite à la fermeture des ateliers nationaux le 21 juin 1848, un des symboles sociaux fort mis en place précédemment, le peuple descend dans la rue, et les barricades fleurissent deux jours plus tard. Ces journées révolutionnaires finiront le 26 juin par une fusillade sans jugement de plusieurs milliers d’insurgés. Les troupes du général Louis-Eugène de Cavaignac traquent les insurgés, jusque dans les carrières de Montmartre. Des centaines d'insurgés y furent fusillés et ensevelis sur place. D’autres s’échappent sous les carrières du fort d’Ivry. On peut voir dans les carrières sous le parc Montsouris (75014), un dessin d'un garde national tenant une baïonnette arrêtant un insurgé avec un oiseau sur l’épaule (datant de 1848). Ce dessin avait partiellement été recouvert de bombe aérosol, et restauré par la suite. Début juillet 1848, les perquisitions et recherches d’armes et d’insurgés dans les catacombes ne donnèrent rien. Fausse rumeur ? (La liberté, 8 juillet 1848, journal de Lyon).


« Les insurgés de Montsouris », dessin de 1848.

 

2.3.4. Le second empire

Il existe quelques graffiti rappelant l’empire français.

L’aigre impérial, dans les carrières de Joinville.

 

 

 

2.3.4. Le siège de 1870 et de la commune de Paris 1871

La guerre franco-prussienne termine en débâcle française, avec capitulation après la capture de Napoléon III (le 1 septembre 1870). La nouvelle arrive à Paris avec le siège, le 3 septembre. Certains habitants se réfugient dans les souterrains. La préfecture de Police annonce par avis le 8 septembre 1870 "Des bruits alarmants ont été répandus au sujet des carrières et des catacombes des environs de Paris. Le Préfet de Police informe les habitants qu'une visite minutieuse en ces endroits dangereux a été prises en vue des tentatives qui pourraient ultérieurement se produire mais le Préfet de Police invite formellement les citoyens paisibles à s'abstenir de chercher à y pénétrer."
Pour empêcher la pénétration dans les carrières, les mesures étaient maigres, les puits restèrent ouverts avec seulement 3 ou 4 barreaux des mats de perroquet sciés. Les galeries d’accès aux fortifications étaient murées, mais on sait qu’une fois sous terre, on n’est rarement dérangé pour creuser. Les puits étaient gardés, certains cavages n’avaient pas de porte (Montsouris), la surveillance était trop incomplète pour ne pas avoir des poissons qui passent les mailles du filet. Si ces galeries sont efficaces pour s’y cacher ou fuir, elles ne sont par contre pas pratiques comme champs de bataille à proprement parlé, trop étroite et basses pour se déplacer autrement qu’à la file indienne le dos courbé, ce ne serait pas un lieu adapté pour les combats, sinon des duels à genoux. C’est pourquoi les prussiens n’ont jamais tellement utilisé cette voie pour pénétrer le siège de Paris.

On peut lire une inscription au abord des meurtrières sous un fort de Montrouge de l’enceinte de Paris, "Les prussiens ne passeront pas 1870". Cette inscription avait été frottée, et restaurée par la suite, elle n’est plus d’origine.

 

Commune de Paris et « chasse à l’homme dans les catacombes ».

Après avoir tenu courageusement le siège du 19 septembre 1870 au 28 janvier 1871, l’armistice très dure fut imposée, et sema une graine vers l’insurrection. La commune de Paris éclata le 18 mars 1871. Cet épisode insurrectionnel s’acheva par la semaine sanglante du 22 au 29 mai 1871, qui se termine en véritable chasse à l'homme dans les rues de Paris. Il n’y eu pas de courses poursuites dans les sous-sols de la capitale, mais des recherches y furent entreprises plusieurs semaines après la fin de cet épisode, pour ne laisser la chance à aucun communard en fuite d’y rester en vie. Des sentinelles gardaient les principales entrées connues des carrières de Paris (rue Dareau, Faubourg St Jacques) et resteront gardées encore un mois après la fin de la commune.
Par contre quelques stratégies souterraines ont eu lieu dans la périphérie, par les versaillais pour reprendre les forts d’enceintes, le fort de Vanves par les carrières de Chatillon, suivi d’une tentative infructueuse des insurgés de le reprendre par les souterrains (les éclaireurs de Bergeret). Le 25 mai 1871 des insurgés du fort de Montrouge prennent la fuite par un puits de carrières quand le fort fut repris par les Versaillais. Un fil électrique avait été déroulé dans les carrières pour faire sauter à distance la grande poudrière du fort, mais le piège a été déjoué. De la même manière beaucoup de fil de fer avaient été tendus entre la barrière Denfer et la rue Vaugirard, et le Panthéon, dans le ciel de la carrière, reliant torpilles, mines, baril de poudre, et communiquant avec l’extérieur dans le but de faire sombrer une partie de la ville.
D’autres se sont enfuis des combats de la surface en essayant trouver refuge sous terre, certains blessés y moururent. D’autres furent recherchés et arrêtés sous terre. Un rescapé crevant de faim un mois après sorti de lui-même des carrières de Paris pour se faire arrêter (Les débats, 29 juin 1871).

Des insurgés furent aussi retrouvés dans les égouts près d'Asnières (retrouvé le 10 juin 1871), dans les carrières de Charenton (où se cachait Lantillon, insurgé en cavale qui ne fut pas pris), et dans les carrières d’Amérique (Butte Chaumont) mais à priori pas dans l’ossuaire municipale comme l’évoque la fameuse illustration des collections du musée Carnavalet, ‘la chasse aux flambeaux dans les catacombes’ de Lix, Frédéric Théodore.

Dans la presse (le 20 juin 1871, Extrait du journal "LA PATRIE") on lisait "Les perquisitions dans les catacombes sont aujourd'hui terminées. La dernière journée de recherche a amené la découverte d'un assez grand nombre de cadavres d'insurgés, à moitié rongés par les rats".
Les carrières furent plus souvent utilisées comme voie de passage discret, lieu de repli ou voie de communication (télégraphe) que comme lieu de bataille.

Plusieurs inscriptions de cette époque rappellent l’épisode insurrectionnel, sur les murs des carrières du 14ème arrondissement.


« La République ou la mort !!! » Inscription de 1871, pendant la Commune dans une galerie souterraine des carrières du 14ème arrondissement sur un mur de consolidation de 1867.

 


"Bouillard Maudissons les et crions tous en chœur vive la République", inscription datant de la Commune de Paris, lors d'une visite touristique du musée des Catacombes, rue Dareau

L’arbre de la liberté est un symbole populaire célébrant la liberté utilisée, apparu quelques années avant la première révolution française. Généralement des peupliers ou des chênes, ils étaient plantés au printemps, ornés de drapeaux, cocardes et bonnet phrygien.

 

Arbre de la liberté dessiné sur un mur de consolidation des carrières sous Héricart de Thury ornés de drapeaux et bonnet phrygien datant de 1871.

 

 

Durant la semaine sanglante, une série d’incendie fut allumé par les communards dans le but de ralentir les troupes versaillaises. Les archives de l’Inspection des carrières qui venaient d’être transférées à l’hôtel de ville partir totalement en fumée. Celles-ci comprenaient les toutes dernières planches de l’Atlas de Fourcy qui venait d’être achevées qui illustrait toutes les nouvelles voies intégrées à Paris, et les travaux souterrains de 1859 à 1871. A partir de décembre 1871 des ingénieurs de la ville de Paris descendaient souvent dans les carrières pour reconstituer ces plans.
Cet épisode dramatique souterrain, plus la présence des ingénieurs ouvriers reconstituant les planches a due sérieusement calmer la fréquentation souterraine, au moins jusqu’à l’exposition universelle de 1900, avec son exposition sur le monde souterrain, qui a relancé la mode.

 

 

2.3.5.  Fin du 19ème siècle : sous-marin français

Le graffiti naval est un des thèmes récurant sur les murs de toutes époques. Dans l’imaginaire leur représentation évoque le voyage et l’évasion. Cette sculpture de bateau annotée 'Brenus' au crayon au-dessus se trouve dans une galerie consolidée des carrières de Paris 14ème arrondissement. Il manque un 'N', mais cela évoque un cuirassé à barbettes de la Marine nationale française dont les travaux ont été suspendus en 1886. C'était une unité de la classe Charles-Martel. Il portait le nom de Brennus, un chef gaulois sénon du IVe siècle av. J.-C. Une version revisitée fut relancée en 1888, avec pour caractéristique une artillerie lourde dans l'axe du navire dans deux tourelles, un système de chaudière de type tubes à eau Belleville, l'abandon du bélier de proue, des mâts blindés équipés d'ascendeurs électrique et un renforcement du blindage de ceinture. En 1900, une figure de proue de Brennus fut installée, elle est maintenant exposée au musée de la marine nationale à Paris.

La sculpture du Brennus, 75014

 

2.3.6. L’occupation de Paris lors de la deuxième guerre mondiale

Des anciennes inscriptions datant de la Deuxième Guerre mondiale se trouvaient sur un des murs du bunker allemand. Elles relataient les différentes alertes de bombardement aérien pendant lesquelles les fonctionnaires de Paris devaient descendre sous terre. Elles ont été recouvertes par des fresques de peinture moderne. Volontairement elles ont dans un premier temps été partiellement barbouillées de peinture noire puis une fresque des Neo Post Nuclear Boys a été posée par-dessus. Plus récemment une autre fresque noire et blanche couvrant maintenant l’intégralité de ce mur a recouvert le tout.
On entend parfois sous terre des réflexions du type "Es-tu nostalgique du 3ème Reich pour ne pas vouloir que ces traces disparaissent ?". Est-ce une volonté calculée de faire disparaître les preuves, ou les traces d'une période sombre ? Ceci dit, ces inscriptions en question étaient en français, et ne parlaient pas de la politique allemande de l'époque mais de la vie de tous les jours pendant les bombardements de Paris. Le graffiti lors de l’occupation était même une des formes de la résistance utilisé pour la diffusion d’information clandestine.


"Le coiffeur est un Con", écrit du meme stylo dont l’encre tire au violet que d’autres inscriptions du même mur daté des alertes de bombardements des années 40
En dessous "3 aout 44 2ème alerte"

 

 


Inscriptions dans le bunker allemand des bombardements aériens de Paris

Barbouillages à la peinture noire ajoutés sur certaines de ces inscriptions d'alerte. Maintenant que ce mur est recouvert totalement de peinture noire et blanche. Plus rien n'est visible.

 

Mur des alertes : bombardement recouvert par une fresque des Neo Post Nuclear Boys

 

2.4. Pourquoi trouve-t-on si peu de traces antérieures au 17ème siècle ?

C'est vrai ça ? Les carrières sont exploitées en sous-sol depuis le 12ème siècle. Pourquoi ne trouve-t-on pas de traces de ces époques ?
Parce que les carrières n'ont plus le même aspect qu'à leur exploitation. Les carrières étaient remblayées en partie au fur et à mesure de leur exploitation. Et les parties de vides résiduels provoquant des instabilités de la surface (devenue construite) ont été fort métamorphosées à partir du 18ème siècle. Des murs de consolidations sont présents presque partout. Les fronts de taille et le ciel restent d'époque pour certains (quand il ne s'agit pas de galeries de recherche de l’IGC), mais n'offrent pas le support privilégié pour les écritures.
Le remblaiement des carrières pour sécuriser les sous-sols a, bien entendu, fait disparaître beaucoup de traces du passé. Lorsque l'on réussit à rejoindre ou « décombler » par creusement des parties isolées de carrières, il n'est pas rare de retrouver des graffiti anciens datant d'anciennes consolidations ou de la culture des champignons.
Le support du graffiti va aussi conditionner sa durée de vie. Si le mur ou le milieu est très humide il peut se détériorer en quelques semaines, alors que dans certaines parties sèches de carrière ils tiennent plusieurs siècles. Les graffiti fait au crayon, graphite ou sanguine sont plus sensibles et peuvent être effacé plus facilement que ceux à la peinture.

 

Conclusion

Les graffitis modernes (XVI-XIXème siècle) sont des témoignages très éphémères lorsqu’ils ne sont pas protégés par une volonté, ou une barrière physique. En surface il n’est pas rare qu’ils soient nettoyés récemment après leur apparition étant donné que c’est identifié rapidement comme du vandalisme. Les murs sont nettoyés, repeint, enduits quand ils sont trop « sales ». Les galeries souterraines ont cette caractéristique d’avoir épargnées plus longtemps ces vestiges de par leur accès peu facilité ou illégal, et la non-gestion de l’administration dans leur aspect esthétique. De vandalisme ils prennent une dimension de patrimoine par leur association forte à des épisodes de l’histoire parisienne. Ils constituent un musée imaginaire. Témoignage social authentique et spontané conservé sous des dizaines de mètres de roches, de l’hygiénisme urbain.
Mais la mode du mouvement underground à Paris a un peu accéléré le turn-over de la décoration murale. La place est limitée et la concurrence est rude. Son caractère éphémère rend difficile sa patrimonialisation.
Nous verrons dans la prochaine partie de ce dossier le patrimoine souterrain sous forme d’aménagement officiels et officieux, leur dégradation et parfois leur réhabilitation. Puis les différents axes de mise en valeur de ce patrimoine.

 

- Partie 2 - Aménagements, destruction, et valorisation